mardi 29 mai 2012

The Awesomest Song of the Week : Tall Ships


Le mécanisme des émotions musicales est bien mystérieux. Si une chanson provoque des spasmes de plaisirs incontrôlables, il n’est pas dit qu’il en soit du même pour le reste du travail du besogneux artiste. Petit cas pratique que Tall Ships, jeune groupe de Brighton, nous offre sur un plateau d’argent. Un petit tour et puis s’en va…. Pourquoi  j’aime tel morceau et pas celui là ? Question métaphysique fondamentale qui en a torturé plus d’un, à tel point qu’une commission spéciale du nouveau Ministère de la Culture pourrait bien se pencher sur le sujet.


Commençons par une petite mise en situation empirique sous la forme d'une grosse digression : Me voilà les mains tremblantes, le cœur battant la chamade, en train d’appuyer sur « Play » pour une première écoute du Saint-Graal de la musique Indie de la semaine, chef d’œuvre lambda qui  déchaîne les passions des maîtres à penser de la musique  … Play ! … Et là, c’est la débandade dans mon cortex, rien ne se passe comme prévu : je ne ressens strictement rien. Pas le moindre frémissement. Et il n’y a rien à faire, malgré une séance de yoga et un footing de trois tours du Bois de Vincennes, toutes les tentatives se soldent par un cuisant échec. Mon encéphale restera à tout jamais de marbre, complètement insensible. Je cherche des explications rationnelles… Mais après un check up complet de mon installation hi fi par un spécialiste B&O et  un bilan auditif complet… Rien à signaler, techniquement parlant. Enfer et damnation, serais-je donc devenu frigide du tympan ? Et là… Au moment de tirer une croix sur ma vie musicale jusqu'ici débridée, voilà que, dans le magasin de hi fi ou je m’apprête à acheter un écran plat dernier cri en prévision de la prochaine saison Ligue 1 (qui par la force de choses se devra de devenir ma nouvelle raison d’être), une petite  mélodie pénètre insidieusement dans mes oreilles. Par Dieu, me voila guéri ! Le seul problème : mon miraculeux médicament n’est autre que…  le dernier tube de Franckie Vincent. Aïe… Et oui, en musique nous sommes le plus souvent complètement prisonnier de nos émotions, il faut s'y faire.



Bref… Revenons à nos moutons ! Tall Ships, sûrement après une étude de marché minutieuse, s’est engagé tout naturellement dans la niche du Math Rock. Comme leur dizaine de clones le trio produit un rock à la fois nerveux et policé, basé sur la répétition de boucles mécaniques. Des millimétriques cas d’école qu’offrent Hit the Floor et T=0  au solo ciselé de  Plate Techtonics en passant par le morceau à tiroirs Chemistery, c’est sympatoche, mais pas de quoi convoquer dans l’au-delà les fantômes de Jimi Hendrix et Kurt Cobain pour une conférence de presse exceptionnelle.


Et sans prévenir voilà qu’arrive Books…  Alors que Tall Ships s’apprêtait après une première et unique écoute distraite à rejoindre les tréfonds du dossier « Sympamaissansplus »  de mon ordi, les nappes de l’intro retiennent in extremis mon attention…  Et vlan ! voila le monstrueux riff de synthé  fait son apparition. Il ne suffira pas de plus de temps, me voilà converti en 58 secondes chronos. La suite de la chanson, ce n’est que du bonus… 



jeudi 17 mai 2012

Freezepop, maladie musicalement transmissible …



Nous nous étions déjà goinfrés à n’en plus pouvoir des friandises hyper calorifiques du dégoulinant Freezpop Forever, premier album du groupe de synthpop US (Article DM à (re)découvrir ici ! ). Comme après une orgie pascale à base de pâte de cacao, l’écœurement n’était pas très loin. Et bien autant vous prévenir tout de suite, la suite peu d’estomacs pourront y résister. Coup de grâce fatal donc avec le deuxième album du trio,  Fancy Ultra Fresh, paru en 2004. Et comme si une crise de foie ne suffisait pas, voila en plus le rêve enfantin plein de sucre d’orge et de pain d’épice qui tourne au cauchemar lubrique.  Le kitch que l’on avait pu prendre pour une adorable naïveté se  révèle en fait ici être un cruel mélange d’agressive ironie et de perversité autodestructrice.  L’ensemble des méchantes pistes d’électro pop s’articulent comme le piège inéluctable pour enfants trop paresseux qui manque de se refermer sur Pinocchio. On est bien loin de l’univers Hello Kitty « Girly-Geek » du premier album. Martinet en cuir, accessoires piquants en tous genres et menottes d’acier sont au programme de cet BO discount pour sex shop SM miteux de banlieue déshéritée. Première illustration avec un  Boys on film échevelé et provocateur.

Boys On Film by Freezepop on Grooveshark

 


Dès les premiers instants Stakeout aguiche le chaland avec ses synthés vulgos et ses boîtes à rythmes de game center. Il s’agit de faire briller les néons maladifs de la boutique plus fort que ceux du voisin pour empêcher le client de se rendre compte que les colonnades style empire ne sont qu’une mauvaise imitation en carton pâte et que le lourd rideau de velours est parsemé de trous de clopes… Et c’est réussi, nous voilà  dans la gueule du loup. Si Freezpop Forever était le tube autobiographique rafraichissant de l’éponyme premier album, le glacial Parlez vous freezepop ? prend la suite et annonce la nouvelle donne. C’est dans la langue de Molière que l’ingénue Liz Anthousiasm, devenue la sinistre  tenancière fait la retape de  la marchandise de la boutique. Chantres du bon goût encore une fois, abstenez-vous…  Maquerelle peut être, mais clairement dominatrice, et la demoiselle vous prévient avec un I’m not your Game Boy menaçant, la patronne ici c’est elle : “don't play with me / I am not your toy /oh can’t you see / I am not your gameboy / (…) just look at me /I am not your gameboy /I don't have a joystick /or a backlit lcd /no nintendo logo /don't push that cartridge inside me /cause i'll push back, just wait and see.”



I Am Not Your Gameboy by Freezepop on Grooveshark

Maintenant plus possible de reculer, Il est temps de se pencher sur les rayonnages poisseux remplis d’horreurs capable de provoquer une hécatombe de syncopes parmi les paroissiens intégristes de Saint-Nicolas du Chardonnet.  Bike Thief en est l’idéale tête de gondole racoleuse. Synthés glauques, rythmique oppressante,  voix désincarnées…  Et que dire de That boy is all about fun !… Son ambiance robotique et son refrain à la limite de la 8 bit pop ont tout pour rendre sa flamboyante ligne mélodique dangereusement addictive. 

That Boy Is All About Fun by Freezepop on Grooveshark

Bike Thief by Freezepop on Grooveshark

Puis Manipulate est l’idéal titre pour une séance de lap dance réussi. Suggestif et évocateur  sans trop se dévoiler, au kitch mystérieux et faussement lointain, ses cinq minutes de déhanchements chaloupés ne feront qu’attiser ces messieurs prêt désormais à faire chauffer leur CB.


 Il y en a pour tous les goûts avec le martial Chess King qui  n’est pas sans rappeler la rythmique du décapant Blue Monday de New Order. C’est donc au tour du Ken de service du groupe, de faire son show d’une voix désabusée  de professionnel blasé.

Chess King by Freeze Pop on Grooveshark


Enfin Tonight constitue une effrayante et lancinante parodie de love song disco ou l’art de la simulation est poussé à son paroxysme. Perverse déclaration d’amour tarifée, poignante et banale à la fois…

Tonight by Freeze Pop on Grooveshark

A vous maintenant de bourrer votre Ipod de ces honteux music toys pour titiller vos tympans dans de torrides séance d’écoute. On ne le dira à personne ! C’est promis …



jeudi 10 mai 2012

The Dark Side of the Red Hot Chili Peppers



Les Red Hot Chili Peppers sont souvent détestés pour de mauvaises raisons et aimés pour de mauvaises raisons. Quand les fans de la première époque rejettent leur évolution, les ignorants de dernière heure consacrent leur commercialité aux Grammy Awards. C’est qu’en réalité ils ne se réduisent ni à un idéal punk immuable ni à une machine de guerre radiophonique pour groupies décérébrés. Ils sont tout juste au milieu, mais beaucoup plus loin.

Pour étayer cette thèse trois chansons devraient suffire. Elles seront triples, et représentatives de la schizophrénie propre au groupe. De la pop très funk, une ballade et un mélange funk-rap. Pas besoin d’en appeler aux succès, nous jouerons le jeu inverse en ne retenant que des faces B et bonus. Et pour compliquer le jeu, ne retenons qu’un disque : Californication. Il s’agit du sommet de leur carrière, publié en 1999, et le plus parfait équilibre entre toutes leurs influences, dont même les brouillons surpassent largement le reste de la production musicale actuelle. Sans trop s’épandre, disons qu’il s’agit d’un disque à l’histoire particulière, puisqu’il voit le retour de John Frusciante, parti du groupe en 1992 sur la tournée accompagnant Blood Sugar Sex Magik. Enfermé dans sa villa à Hollywood pendant cinq ans, se droguant jusqu’à frôler la mort, il y composa et enregistra dans son salon deux disques remarquables quoique assez impénétrables. Les Red Hot quant à eux publièrent avec grande difficulté un disque en 1995, ayant mis un an avant de trouver Dave Navarro, un excellent guitariste qui tout en apportant à One Hot Minute un style particulier, ne put saisir le feeling de toute façon insaisissable du groupe.

C’est du retour de Frusciante que l’album Californication tire toute sa fraîcheur et sa puissance, ce n’est qu’une vaste réconciliation, au sens social et surtout artistique du terme. Le son a changé depuis 1991, Kurt Cobain est mort depuis longtemps, la nouvelle pop britannique et le hip-hop se sont émancipés. La musique des Red Hot était en elle-même l’incarnation du n’importe quoi des années 80, un mélange difforme de toutes les éxubérances de la décennie, un pot-pourri de rock, de punk, de proto-hip-hop et de funk. Bref c’était une musique du passé, toujours reconnue mais classée dans les archives. C’est en grande partie de Frusciante que vint le nouveau souffle, ses recherches musicales sous héroïne ont apporté d’immenses résultats : il a trouvé un style. Un style unique, fondé sur la pureté des notes, un minimalisme radical qui apporte à chacune d’elle une valeur qu’elles n’avaient jamais eu l’occasion de porter. Des indices de ce jeu étaient déjà là dans Pretty Little Ditty en 1989 ou dans Untitled#2 en 1994, mais ne constituaient pas encore son essence. Il explose en 1999 et donne un éclat inégalable à Californication, insufflant son énergie et revigorant la basse de Flea (de toutes manière inqualifiable), la batterie de Chad Smith (qui dut gérer la désonorisation massive des batteries depuis le début des années 1990), et réinspirant un Kiedis lumineux, au flow oscillant entre lubricité et poésie.

Les cinq singles issus du disque donnèrent l’occasion de beaucoup de faces B, et la taille de la distribution permit de nombreuses pistes en bonus. Pourtant elles sont quasiment inconnues, car peu de personnes vivent dans plusieurs pays à la fois, et encore moins achètent des singles. Voyez la qualité de ce qui a été « mis de côté ».


Quixoticelixer a un nom tordu mais seul son nom fait mal à la tête : c’est de la broderie pop teintée de funk, tout sonne « Californication », le chant sirupeux de Kiedis, les voix vaporeuses et la guitare légère de Frusciante, à cheval sur deux genres et les transcendant avec son jeu, la basse subtile et hardcore de Flea comme l’est la partie de batterie. Morceau grandiose et inimitable qui finit longuement sur un phrasé dynamique faisant oublier le début de la chanson.


Gong Li by Red Hot Chili Peppers on Grooveshark



Gong Li, du nom d’une actrice singapourienne, et présente sur l’édition japonaise du disque, est une ballade soignée, extrêmement simple, à la frontière du caricatural. Des gammes de guitares aquatiques entourent des refrains « smooth » à souhait, déblatérant des états d’âme lambdas avec un impeccable sens de la mélodie. Elle rappelle un peu l’une des dernières chansons de l’autre époque, Soul To Squeeze. Et puis merde elle incarne la Californie, l’aboutissement ultime de l’autre rêve américain : regarder l’océan et ne rien faire.


Mais les Red Hot ne sont pas des garçons équilibrés, ils ont des problèmes de personnalité et souffrent de schizophrénie. Parfois ils deviennent fous et produisent des choses qui ressemblent à Over Funk. Le ton est devenu dramatique, psychotique, tout est stressant et angoissant. La chanson n’a pas de sens commun, Kiedis pousse des complaintes pressées sur une partie de guitare décadente, dont la partie solo est si épurée qu’elle en devient gênante, surplombant une ligne de basse et une batterie martiales, frisant parfois la violence pure sur les breaks.

Ces trois chansons résument parfaitement le meilleur album des quatre guignols de L.A. : un condensé d’idées, le sommet de la maîtrise de chacun, la cime de leur symbiose. Rebaignez-vous dans sa piscine enflammée.