mardi 27 mars 2012

Le rétro-futurisme des Brunettes (2ème partie)



La musique, c’est d’abord un plaisir immédiat, une béatitude en temps réel. Une chanson existe essentiellement lorsqu’elle est écoutée, sollicitant notre mémoire vive, nous faisant oublier à la première écoute quel était le couplet lorsqu’arrive le premier refrain. Mais parfois la musique imprègne, marque l’esprit de manière irréversible et indélébile, transformant le plaisir immédiat non pas en souvenir agréable, mais en impression qu’il est possible de revivre à l’infini. Si repenser à une chanson sans l’écouter s’apparente probablement à la sensation que peut avoir une personne atteinte de cécité tardive essayant de se rappeler à quoi ressemble un arc-en-ciel, la réécouter lorsque son appréciation est arrivée à maturité est une jouissance incomparablement plus grande.

Apprécier un disque dans la durée, espaçant son écoute, de manière à calquer les impressions qu’il procure à des événements ou des expériences personnelles, est une aptitude inestimable de la musique.



Ces considérations d’ordre général semblent placer la barre bien haut pour ce qui n’est qu’une seconde partie de chronique consacrée aux deux derniers albums des Brunettes. Cette introduction aurait pu précéder n’importe laquelle des chroniques présentes sur ce blog, voire n’importe quelle chronique tout court. Ce n’est qu’un choix personnel, une manière d’éviter de façon générale l’écoute dilettante, quel que soit l’artiste dont il s’agit. Le format musical, ses propriétés impromptues, spontanées, la facilité de sa diffusion, la naïveté de son appréciation sont des trésors qu’il ne faut jamais sous-estimer.





Rappel des faits : les Brunettes sont un groupe néo-zélandais originaire d’Auckland, un duo formé en 1998 dont l’actif s’élève à quatre disques et deux EP. Leurs propositions évoluent sans cesse. Nous les avions laissés avec Mars Loves Venus, doux album de pop jonglant entre la révision des classiques sixties et le côté Do It Yourself si cher au mouvement indépendant. Deux ans ont passé depuis ; deux ans pour une tournée américaine (avec les Shins et Clap Your Hands Say Yeah !) et un retour au bercail.

En 2006 sort Structure & Cosmetics. Pas d’adjectifs trop hâtifs, on se contentera d’un « fabuleux ». Certains critiques soucieux d’objectivité pourraient affirmer que les deux premiers opus ont un côté mignonnet/désuet qui pourrait passer pour une recherche de hype, ici ce n’est plus possible. La musique des Brunettes prend une ampleur insoupçonnée, transformant le disque en monument. L’hymne B-A-B-Y, fédérateur et cherchant à accrocher l’oreille (curieuse pour les fans, distraite pour les autres), laisse vite place à une virtuosité totale dans la composition. Le Stereo (Mono Mono) annonce la couleur en multipliant rapidement les motifs, démolissant les structures traditionnelles, alternant les modes pour conjuguer les sentiments « joie enfantine » puis « désespoir solitaire » en quelques instants. 


Her Hariagami Set consacre la puissance vaporeuse de la voix d’Heather Mansfield, qui, bien que donnant l’impression d’énoncer des paroles sensées, en est très loin (« Le Loom updos cross over monkey finger hot knots claw clip french twist scrunchie… »). La dramaturgie de la mixité des voix, relevée par une instrumentation grandiloquente, parachève le tout.

Structure & Cosmetics est un disque d’apparence calme, dégageant une grande quiétude, mais il est en réalité théâtral au sens plein. Une comédie humaine "made in New-Zealand", explorant l’étendue des sensations humaines en quarante minutes. Comme dit précédemment, leur musique n’a de simple que l’apparence, la composition est en réalité fine, exigeante et multidimensionnelle. Ecouter le début d’une chanson ne donne aucun renseignement sur la façon dont elle va finir (Credit Card Mail Order, If You Were Alien…). Obligatory Road Song, d’aspect paisible, offre un pont terrifiant, et Wall Poster Star, d’une sobriété inégalable au début, part vite dans des méandres dangereux, en revient d’abord, puis y sombre tout à fait ensuite, donnant l’occasion à Heather de nous pétrifier par la froideur de son lyrisme. Au sortir du disque, l’esprit est embrumé par une trop grande quantité d’informations contradictoires, mais une écoute de long terme en révèlera toutes les saveurs, qu’on garantit exceptionnelles.




Nul n’est imperméable aux modes. Aujourd’hui l’électronique s’insinue dans beaucoup d’endroits, parfois là où elle n’aurait jamais dû aller, parfois là où elle devient une valeur ajoutée. Les Brunettes se sont fait envahir, ou plutôt colonisés, de manière pacifique et subtile, réussissant à faire évoluer leur musique d’une manière très intéressante. 




Dans leur dernier album, Paper Dolls, sorti en 2010, les synthétiseurs font leur entrée discrète et assurée. L’ensemble du disque est plus timide au sens positif du terme ; le contenu émotionnel n’en est pas amoindri, et Jonathan Bree a su dompter l’électronique, la pliant à ses désirs astreignants. Le single Red Rollerskates en est l’exemple parfait : une boîte à rythmes a remplacé la batterie d’antan, de fines touches de synthé survoltent la chanson sans jamais s’en emparer. Le kitsch est intact, les rythmes de synthèse relèvent l’infantilité de la voix féminine, et la composition… et bien cela reste un disque des Brunettes.




L’homogénéité est impressionnante, réussite de style au premier essai. Les sons sont tous plus propres, plus proches de nous, et plus étonnants. En dehors de l’électronique il y a toujours omniprésence des nappes de violons, des sonorités cristallines des xylophones et autres glockenspiel et des subtiles touches de guitares, saturées avec parcimonie et à bon escient. L’aspect « twee pop » est plus fort que jamais, chaque chanson en est atteinte, à l’instar d’une Princess Chelsea ou d’un Au Revoir Simone, et peut-être plus encore que chez elles. Démarche rigoriste, essorant l’essence du style jusqu’à l’extrême (It’s Only Natural, Bedroom Disco sont particulièrement relevées). La dramaturgie est également intacte (Connection, Magic), et le mixage ciselé au millimètre pour jouer sur les alternances de profondeur et de proximité des voix est particulièrement remarquable. 


En dix ans d’activité, les Brunettes figurent parmi les groupes qui ont le plus apporté à la pop des années 2000. Ils ont dépoussiéré de vieux codes et les ont suffisamment distordus pour en faire émerger un univers entier. Et gardons à l’esprit que de vieux codes d’où surgissent des univers donnent souvent de nouveaux codes.



vendredi 16 mars 2012

The Awesomest Song of the Week (XVII) : Slagsmalsklubben dévoile (enfin) Jake Blood

Comment concilier coups de cœurs musicaux forcement subjectifs et objectivité critique ? Vaste question à laquelle le moindre bloggeur musical se retrouve forcement confronté à toute nouvelle touche tapotée. Et dans les faits, force est de constater que  la passion nuit le plus souvent gravement au discernement. Ainsi, malgré les dizaines de milliers de groupes injustement oubliés qui mériteraient bien un petit coup de pouce, même des plus modestes,  voilà plusieurs semaines au bas mot que, frénétiquement, l’on rentrait inlassablement les mots clés « Slagsmalsklubben » et « Jake Blood » dans Google & cie. Mais toujours sans résultat. Pour tout dire nous étions réduits, depuis la publication d’un pernicieux communiqué du génial sextet 8bitpop suédois Slagsmalsklubben annonçant l’arrivée prochaine d’un nouveau single, à un état de désespérance lamentable. La situation était similaire à celle du naufragé qui, échoué sur une île déserte et qui ne dispose que de quelques tonneaux de précieux liquide, compte les jours avec angoisse…

Mais voilà, la date fatidique de parution était largement dépassée et toujours rien à l’horizon… Chrome ma sœur Chrome ne vois-tu rien venir ?  Voilà des semaines que cette question vitale  revenait chaque connexion ! Mais la réponse, toujours aussi laconique ne variait pas d’un iota : « Mon cher IP 73.99.148.232 Je ne vois que les fjords qui verdoient et les neiges qui poudroient… ». Bref, la  fin dramatique était proche quand enfin, un petit lecteur Youtube nous délivra le précieux élixir…  Jake Blood. Enfin, soyons franc, ce n’est clairement pas leur meilleurs cru, mais on est quand même très loin de la piquette !

Ca y est le printemps pointe son nez avant l’heure en Scandinavie. Voilà enfin les facétieux « electrolibrius » de SMK qui sortent de leur interminable période d’hibernation. La saison hivernal a duré plus de trois ans ! Et encore ils n’avaient mis le nez dehors que de manière bien timide en 2009 à l’occasion de la parution du pâle EP Brutal Weapons, très peu représentatif de leur géniale folie antérieure. Peu largement mieux faire nous étions-nous donc dit à ce moment.  Et depuis, silence radio. C’est donc forcément avec pas mal d’appréhension que l’on écoute ce premier single de la collection printemps 2012, avant-garde avec son EP de trois titres de l’album Garage à paraître en avril.


Toujours minimaliste, comme son prédécesseur, Jake Blood dispose pourtant d’un certain supplément d’âme. On est loin du potentiel d’élasticité des tubes qui garnissaient les brillants albums Sagan om konungens årsinkomst, Den Svenske Disco et  Boss for Leader. Mais en y regardant de plus près, même si Jake Blood n’est pas la balle de joquari qui peut rivaliser avec les perles rebondissantes du passé il faut lui reconnaitre une nouvelle faculté: son côté poisseux, car même si elle ne paye pas de mine au premier  abord, dur de s’en dépatouiller le cortex ! Et la chanson vaut aussi le détour pour le drôle de clip qui l’accompagne. Affublés de capuchons à la mode KKK voila les six gogos de SMK qui fuient leur froide nation pour au final s’échouer sur une plage de sable fin bordée de cocotiers ; un petit paradis bien plus accueillant en somme. Une allégorie de leur chemin de croix de défricheurs musicaux au départ incompris?

Attention de ne pas se reposer sur vos lauriers tout de même chers amis…


Et en prime pour les affamés voici une vidéo d’animation jouissive bricolée de toute pièce par un illustre bidouilleur inconnu plutôt bien avisé. Lorsque deux grands esprits se rencontrent ça fait toujours des étincelles… Dans cet hymne visuel et sonore au baroque à travers les âges, voilà les hideux personnages du chef d’œuvre pictural du primitif flamand  Jérôme Bosh , Le jardin des délices, qui s’animent et se mettent à gigoter frénétiquement au son du démoniaque The World Welcomes Fame. Bien que parfois un peu maladroit cet « home-made unofficial clip  » est particulièrement jouissif à regarder et dote le morceau d’une consistance toute nouvelle.

La suite au prochain épisode ! 



mercredi 14 mars 2012

Koudlam : l'électro choc !


Oyez oyez gentes internautes en goguette !!!  Prenez le temps de vous arrêter et de prêter une oreille compatissante à l’incroyable et tragique épopée musicale de Gwenhael Navarro, alias Koudlam. L’esprit vraisemblablement torturé, ce mercenaire sonore intergalactique est, depuis son émergence sur la scène Techno Rave hexagonale, en croisade perpétuelle tant contre l’ethnocentrisme et la facilité musicale que contre l’establishment  du showbiz ou l’appauvrissement culturel. Mais ce Don Quichotte du XXème siècle a troqué sa fidèle jument contre une Carte Miles Platinium de l’Alliance Skyteam. Il ère ainsi de manière plus ou moins aléatoire dans l’espace monde entre la Bolivie, le Mexique, Paris ou l’Afrique de l’Ouest à la recherche de dahus sonores susceptibles de nourrir son étrange électro New Wave mondialisée.
Ce boulimique de nouveautés brasse fiévreusement et inlassablement une sorte de Gloubi Boulga monstrueux composé de tous les styles musicaux, cultures, esthétiques, philosophies,  paysages ou sensations que son frénétique encéphale aura pu ingurgiter lors de ses pérégrinations aux quatre coins de la galaxie. Et Winnie The Pooh ne nous contredira pas, plus les fleurs butinées sont foisonnantes et diversifiées,  plus la saveur du miel en est magnifiée. La preuve en grande pompe avec quelques extraits du  protéiforme chef d’œuvre  Goodbye, album démiurge et pervers qui saborde avec délice une musique céleste sur le point de tutoyer les anges… 


Bien loin le temps où les Beatles défrayaient la chronique avec leur révolutionnaire Sergent Peppers et  où leurs concurrents outre-Atlantique répliquaient en grande pompe avec la déferlante d’un Smile dévastateur. Sans parler du menaçant The Wall de Pink Floyd qui, tout d’un coup s’est hissé, sans crier gare, au titre de mythe dans le panthéon musical… Cela faisait ainsi des lustres que l’on était persuadé que le Concept Album n’était plus qu’une astuce marketing obsolète, recyclée en tête de gondole du rayon discount d’un hyper pour chef de produit de majors en manque d’inspiration. 

Mais voilà ce trublion de Koudlam qui nous prend tous à contrepied avec  la sortie en 2009 de l’entêtant Goodbye qui compose une fresque sonore, grandiose et austère, unique, entre tonalités New Wave et format résolument électro. Il tutoie le sacré avec des pistes comme Brother ou Flying Dolphins dans lesquelles s’installe progressivement cette indicible sensation mêlée d’euphorie et d’oppression que l’on peut par exemple ressentir en pénétrant dans la nef d’une cathédrale gothique. Parfois  entraînantes (See you all, over the black hills with crazy horse) souvent dénudées et glaciales (Middle, Love Song),  toujours menaçantes et déconcertantes, les douze pistes du disque s’articulent à la manière d’un étrange conte baroque New Age sans queue ni tête. Pas facile au début de se repérer dans ce fatras de sons, de mélodies, de rythmes qui tutoient aussi bien la fureur froide à fleur de peau de Joy Division, que la musique savante et expérimentale d’un John Cage.



Pauvre pêcheur, après avoir supporté les ricanements de satyres de l’intro tu peux enfin pénétrer dans ce monde parallèle aussi enchanteur que diabolique. Flying over the black hills with crazy horse et son inlassable thème développé à la flûte de pan puis au synthé en est un exemple parfait. Si les sonorités reposantes et dépaysantes sont dignes de figurer en bonne place dans la dernière compil Relaxation de Nature & Découverte. il reste toujours une tension dans la mélodie et sa répétition  qui finit par exploser lorsque la partie chantée devient implorante à la fin du morceau. Tonight  est aussi un modèle du genre. Le morceau démarre, sautillant et enjoué, avant de basculer brutalement avec un hululement strident glaçant.  Le chef d’orchestre machiavélique Koudlam, expert en retournements de situation les plus rocambolesques, clôt alors le morceau en grande pompe dans une ambiance symphonique incongrue que l’on retrouve notamment sur See You All ou à la fin de Flying over the black hills with crazy horse.





See You All, parlons-en justement! C’est LE tube entêtant du disque. Valse New Wave  qui, si elle avait vu jour quelques décennies auparavant, aurait tout aussi bien fait l’affaire dans la célèbre scène spatiale de Kubrick que Le Beau Danube Bleu de Strauss. D’autant plus que l’étrange scène de guerilla urbaine du clip pourrait être mise en parallèle avec la séquence de l’affrontement entre les deux tribus australopithèques du film de Stanley. Porté par un beat 80’s à la Kraftwerk, le timbre grave qui n’a rien a envier à Ian Curtis se balade de manière indolente dans une ambiance molletonnée et sirupeuse. Rêve de Télétubbies ou overdose médicamenteuse ? Rien n’est vraiment tranché dans ce chef d’œuvre d’ambiguïté.



A ce stade on ne pensait plus pouvoir être étonné …  Mais comment résister à la déferlante qui s’abat ensuite avec le riff dévastateur de Love Song ? Crescendo de plus en plus furieux de basse et de saturation, ce tsunami engloutirait n’importe quel tympan à peu près en état de marche relié à tout semblant de système nerveux. Aucun espoir de s’en tirer indemne !




Malgré le dérisoire sursaut que constitue la fulgurance techno de Middle, les déchirants Goodbye et Wave of mutilation qui suivent, implacables, semblent clairement professer la funeste destinée de tout un chacun. Il ne te reste aucun espoir pauvre mortel ; au départ néant tu redeviendras bien vite poussière, et ce n’est surtout pas un pauvre disque d’électro qui changera l’ordre des choses. En digne héritier des Vanités picturales de la Renaissance qui rappelaient aux puissants leur immuable condition de mortels, Goodbye explore ainsi la funeste destinée de la condition humaine. L’extrême onction de Hole achève enfin le Harakiri nihiliste de l’album

Un petit tour, et puis s’en va...






vendredi 9 mars 2012

The Awesomest Song(s) of the Week (XVI) : The Wave Pictures




Minimalisme, rigueur esthétique, voie immuable, The Wave Pictures est un groupe qui subjugue par son homogénéité et sa constance. Trio à la productivité impressionnante, les Anglais de Wymeswold nous offrent depuis 2004 une sorte de pop dépressive et désabusée, aussi triste qu’elle est belle.





The Wave Pictures tourne autour d’un homme : David Tattersall, qui fait de chacun de ses morceaux une dramaturgie en y aposant sa voix torturée, étranglée, rappelant un peu les débuts de Dylan. Chaque piste est une sorte de ballade, même quand elle dynamique et ornementée ; le déroulement est systématiquement linéaire et simple, puisant son essence au fin fond des âges ténébreux du genre, à savoir la musique irlandaise (de laquelle découle toute la vague country et folk qui s’épanouit plus facilement aux Etats-Unis). Mais Tattersall a aussi révisé le travail de ses compatriotes : difficile de ne pas sentir l’influence de la cold wave de Joy Division,  de l’hybride rock punk de Gang of Four ou du romantisme façon Sturm und Drang des Smiths. Plus proche de nous, on peut aussi évoquer le folk minimaliste d’Herman Düne.



Trêve de références, car The Wave Pictures est un groupe authentique, avec une atmosphère propre et inimitable. Parfois la guitare folk laisse place à l’électricité, et là les dons de Tattersall évoluent en parfaite liberté, dévoilant un virtuose que l’on n’osait plus espérer dans ce style de musique. Manier technique et inventivité sans jamais sombrer dans la démonstration oiseuse est très périlleux ; ici cela fonctionne à merveille, chaque solo est l'expression d'une idée, sublimée par le son crade et brouillon d’une immuable Gibson SG. En concert, le groupe fait penser à trois ados malaisés se demandant s'ils ont bien fait de vouloir jouer sur scène. Le bassiste d'une timidité excessive est à peine sauvé par un chanteur presque aussi immobile que lui, qui tente une rapide biographie auprès du public, entre deux morceaux chantés les yeux au plafond, s'éloignant par intermittences du micro pour gagner en performance intimiste.






Eskimo Kiss, tout nouveau single devançant la publication du septième opus du groupe qui sortira en avril (Long Black Cars), est la première chanson chantée par le batteur Jonny Helm. Sa voix renforce encore plus le côté british de la chose, à la limite de la révolte urbaine. La rythmique reste, elle, dans la plus pure tradition du groupe, tout comme la ligne de basse et le sublime solo de guitare, toujours aussi inspiré et nerveux.
Il vous reste un mois pour assimiler les six disques qui vous permettront d’appréhender Long Black Cars comme il se doit !



lundi 5 mars 2012

The Awesomest Song(s) Of The Week (XV) : Alt J


Autant vous prévenir tout de suite, le propos de ce nouvel article sera aussi redondant que la créativité du groupe proposé est novatrice ! Petit élément de contexte : alors que l’autocongratulation consanguine de la musique hexagonale était samedi soir aux VDM à son paroxysme, tant en terme de flagornerie que d’hypocrisie, ce n’était surtout pas devant son poste de TV que tout mélomane francilien esseulé aurait dû échouer, mais plutôt au Point Ephémère, pour le concert de Casiokids, génial crew électro pop norvégien. D’une part pour assister au show cathartique de ces délicats barbares aux gants de velours venus du Grand Nord,  mais également pour découvrir abasourdis la première partie que personne n’attendait : les Kinder Surprise cambridgiens d’Alt J. Nous y voila. Au risque de se répéter… Encore une fois, il y a de quoi être époustouflé par la capacité insolente des teenagers ayant grandi dans les verts pâturages d’Albion  à composer des hymnes tubesques dès la sortie de leur couffin. Pas encore l’âge de se la bingedrinker au pub du coin, leur restant vraisemblablement de nombreuses copies à noircir et des centaines de stylos à mâcher avant de pouvoir accéder au sérieux statut d'adulte, mais les voilà déjà qui parcourent les salles de concert pros, excitent les critiques de tous poils et viennent de sortir un deuxième EP fascinant: Matilda/Fitzpleasure, qui fait suite au non moins qualitatif Bloodflood/Tessellate.



Les quatre boys en culotte courte, vraisemblablement accompagnés de leurs parents se sont ainsi permis de dérouler avec un flegme élégant, au nez et à la barbe de tout un public d’hautains frenchies indisciplinés, un set de six compos impeccables d’une indéniable efficacité. 


Tout en retenue, les quelques chansons d’Alt J frappent avant tout par la richesse polyphonique des mélodies et leur capacité à juste conserver l’essentiel. Ainsi ici pas de fioritures, pas question de jouer au « musicien pop hype du moment » . La musique est avant tout une affaire d’émotion et de maîtrise. A l’aide d’un étrange set de batterie réduit a son minimum syndical, sans la moindre cymbale, la section rythmique se borne à produire manuellement des beats étrangement nus et mécaniques qui se rapprochent fortement d’une boîte à rythmes électro. Ce sont les nappes de synthés dotées de puissantes saturations qui vont draper le tout. Enfin les voix juvéniles et les parties de guitares n’ont plus qu’à virevolter, se toiser, s’entrecroiser, se lover, se nouer et se dénouer par dessus, tissant ainsi de complexes motifs décoratifs. 


Les résultats les plus probants sont certainement les splendides tapisseries sonores à écouter en boucle que composent Fitzpleasure et Breezblocks. Les tribulations vocales de ces troubadours prépubères y alternent de manière incessante avec des parties instrumentales à la fois simples et lyriques et surtout parfaitement calibrées. Et franchement que dire d’autre que «  baaaah ma bonne dame, c’est vachement beau ça dites moi donc ! ».  




La ballade Matilda, enfin, est une broderie impeccable. Morceau aussi simple et reposant que la géométrie parfaite du triangle que le groupe s’est choisi comme logo, il glisse tranquillement et sûrement, laissant à son terme une indicible impression de plénitude.


On vous avait déjà causé des rafraîchissants bébés surdoués d’Egyptian Hip Hop et de Coastal Cities auxquels on pourrait ajouter un liste longue comme les jambes d’Adriana Karembeu, de Late of The Pier à The View … Bon sang, mais à quand enfin une étude scientifique de neuroscience appliquée digne de ce nom pour extraire une fois pour toutes le code  ADN britannique responsable de cette supériorité musicale inacceptable. Il y en a marre de ce protectionnisme et de la défiance de ces satanés rosbeefs.  Faisons-en profiter le plus grand nombre au plus vite ! Plus que jamais engageons-nous génétiquement parlant pour redistribuer équitablement les allèles du talent musical entre toutes les nations … Au moins pour nous éviter le supplice de certaines Victoires de la Musique ! Please … ! Be cool guys !!!!

En attendant mémorisez bien ce nouveau raccourci clavier désormais indispensable : Alt-J.







vendredi 2 mars 2012

Le rétro-futurisme des Brunettes (1ère partie)


La Nouvelle-Zélande est un terreau fertile pour avoir un recul suffisant sur ce qu’est et ce que doit rester la musique : l’expression d’une esthétique, sa fixation sur disque et son évolution sur scène. Les Brunettes, un mélange improbable d’intimité et d’extraversion, ne se sont jamais écartés de cette philosophie. Flots de chuchotements, dialogues permanents entre Jonathan Bree et Heather Mansfield… La musique est dure à resituer chronologiquement. Si le groupe est très reconnu nationalement - quatre disques et trois EP tout de même - pas l’ombre du début d’une petite notoriété en Europe. Etonnant qu’une musique aussi brillante et accessible soit ignorée des médias musicaux francophones. Internet n’abat pas toutes les frontières.  


Jonathan Bree, musicien solitaire, découvrit la voix d’Heather Mansfield sur une cassette enregistrée à l’arrache par son cousin. Coup de foudre artistique pour celui qui cherchait désespérément une voix féminine afin de l’accompagner sur des duos qu’il avait composés (« I thought she had a great natural voice, no silly effected delivery »). Il postula un beau jour au Marbecks d’Auckland, le plus grand disquaire de Nouvelle-Zélande. Il y fit tourner une démo qui accrocha un manager, passa sur une radio universitaire et aboutit à un EP appelé Mars Loves Venus, autoproduit en 1998. Multipliant des concerts dans le pays, acquérant une excellente réputation en mélangeant humour et intimité, jouant fréquemment à une dizaine de personnes sur scène, les Brunettes obtinrent une notoriété qui poussa Bree à tout simplement créer son label pour distribuer un premier disque : Holding Hands, Feeding Ducks. Et ce label c’est Lil’ Chief Records, qui est devenu le premier et meilleur label indépendant de Nouvelle-Zélande, produisant entre autres Princess Chelsea, Little Pictures ou les Gladeyes.




Musique dure à resituer chronologiquement : éléments éculés des années 1960, mais arrangements et approche modernes. On ressent la proximité des Kinks ou des Beach Boys des débuts dans les lignes de guitare électrique garage, dans l’emploi de l’orgue et plus qu’ailleurs dans la voix inimitable d’Heather, qui se construit en opposition de celle de son comparse, rocailleuse et sombre. Ils ne s’arrêtent jamais à l’évidence d’une mélodie bien trouvée, toujours une évolution inopinément tarabiscotée, un pont improbable ; leur pomme de Newton, leur baignoire d’Archimède.


Cotton Candy by The Brunettes on Grooveshark


Les résurgences des sixties sont évidentes dans Cupid, The Moon in June Stuff ou Dancefloor, mais beaucoup moins dans le morceau éponyme, qui livre un phrasé d’une rare longueur, ou Cotton Candy, qui en conservant un côté vintage va déjà beaucoup plus loin, s’aventurant sur les pistes de la pop indépendante multi instrumentée. La sublime End of Runway, sommet du disque qui annonce les évolutions futures du groupe, les ambiances sombres, profondes et vaporeuses qu’ils pousseront plus loin encore. Jonathan Bree sacralise l’idée du dialogue musical, les Brunettes ne sont que ça : un couple musical, dont la communication et  est la seule raison d’être. Le chant de sirène d’Heather Mansfield, remontant des profondeurs,  s’insinue irrémédiablement dans nos tympans, les drogue et les broie. La conclusion du disque - Tell Her – est presque une déclaration de mort tant elle conclue magnifiquement le disque : avec quelle autre musique assouvir sa mélomanie en attendant la suite ?





Ces états physiologiques ont dû être assez répandus à l’époque, car les Brunettes purent tourner aux Etats-Unis et au Royaume-Uni avec rien moins que les Shins, Architecture in Helsinki ou encore Clap You Hands Say Yeah ! Embarquant dans leurs valises marimba, glockenspiel, banjo, violoncelles, trompettes, saxo et clarinettes, ils peaufinèrent leur esthétique sonore, établirent une voie à suivre pour le second opus qui sortira en 2004.




Mars Loves Venus, ou miracle absolu de pop, mélange impossible d’intimité et de trips collectifs, disque hors du temps à la fois poussiéreux et ultra novateur. Les rythmes enjoués et joyeux sont toujours présents (Mars Loves Venus, Polyester Meets Acetate, Whale in the Sand…) mais d’autres morceaux vont clairement plus loin (No Regrets, Too Big for Gidget, Leonard Says). 



Too Big For Gidget by The Brunettes on Grooveshark

Echos, chuchotements, phrasés mi parlés mi chantés, structures acycliques, des mélodies majestueuses, dignes de figurer en sillons d’or dans la Bible de la musique. « Dreams can take a long lifetime, and leave you with broken mind ; and now, now it hurts, to face regret ». Appréciez le mélange de guitare, d’orgue et de piano sur " Too Big For Gidget ", savourez les parties de clarinette sur « These Things Take Time », souffrez la tension de « Besfriend Envy », succombez à la poésie du murmure sur « Leonard Says «  et le bruissement mélancolique de « No Regrets ». Mars Loves Venus, ou miracle absolu de pop.


Leonard Says by The Brunettes on Grooveshark

Les Brunettes ont souvent été comparés dans la critique à Nancy Sinatra et Lee Hazlewood  : critique superficielle, si Jonathan Bree s’en est sans doute inspiré, il les a dépassés de quelques années-lumière.