samedi 29 décembre 2012

The Dark Side Of The Stars : The Golliwogs (Creedence Clearwater Revival)



Tout le monde connaît Creedence Clearwater Revival. Si le nom tarabiscoté n’évoque pas toujours grand-chose, des chansons telles que HaveYou Ever Seen The Rain, Looking Out My Backdoor, Who’ll Stop The Rain ou encore la reprise de I Heard It Through The Grapevine stimuleront des « ha oui bien sûr » chez n’importe quel sujet disposant d’un poste de radio ou ayant l’habitude de faire ses courses au supermarché. Mais le groupe californien, emmené par le phénoménal John Fogerty, a eu une carrière avant ce déchaînement de succès.





Bien avant les hits néo-country vendus à millions d’exemplaires fut un petit groupe local, d’abord nommé The Blue Velvet, originaire d’El Cerrito dans les environs d’Oakland en Californie. Composé des deux frères Fogerty,  de Stu Cook et Doug Clifford, le groupe signa sur Fantasy Records une grosse vingtaine de chansons qui sont très très loin du son qui leur donna leur succès international. Renommé The Golliwogs à partir de 1964, référence incompréhensible à une ridicule marionnette pour enfants, c’est sous ce mystérieux mauvais nom qu’ils ont traîné leurs basques dans le bac à sable musical jusqu’à leur service militaire en 1966. 





Est-ce à cause du break dans leur carrière, de la petitesse de leur bourgade ou d’une absence de marketing, en tout cas rien de cette courte période n’est venu jusqu’aux oreilles du badaud, voire même du type qui se penche un peu sur la discographie de CCR. Mauvaise visibilité, absence de valorisation post-mortem, la seule manière d’ouïr ces débuts prometteurs est de se procurer la CCR Box Set de six disques pour une valeur de 149.99 €, ou alors d’errer sur YouTube sous des vents favorables. Et là... un mélange de surprise, d'ébahissement et d'admiration submerge l'auditeur qui ne s'était évidemment pas préparé à autant de découvertes renversantes...





En fin de compte qu’avons-nous là ? Un trésor. Aussi inestimable qu’il est limité. Aussi précieux que poussiéreux, naïf et gentil. L’absence de réputation aide peut-être les choses à sonner vrai, sans doute, mais des morceaux comme Little Girl, Oh My Love ou Where You Been sont authentiquement sublimes ; d’une délicatesse et d’une sincérité aujourd’hui rares. Le son est typé à l’extrême "début des années 60", non sans rappeler les débuts des Beatles à la BBC. La voix indescriptible de John Fogerty est déjà là, prête à se faire connaître au monde entier, et sait se faire moins hésitante sur des morceaux comme The Golliwogs Don’t Tell Me No Lies, Try Try Try, You Came Walking ou encore Fragile Child (parfois doublé par son frère Tom).




Très honnêtement, ces chansons ont-elles quoi que ce soit à envier aux percées des Beatles, des Rolling Stones ou des Kinks dans les années 1962/1965 ? NON. L’envoûtement pré-psychédélique de Gonna Hang Around, la spontanéité de Fight Fire, ou bien She Was Mine, sorte d’hybride Angleterre/Etats-Unis. Quand vient le tout dernier single, Call It Pretending, juste avant l’exil martial, tous les éléments du succès futur sont réunis, et cela était trop évident aux yeux de Saul Saentz, business man ayant racheté Fantasy Records ; ainsi il leur proposa en 1968 d’enregistrer ce qui deviendra leur premier véritable opus en 1968 : le disque éponyme chargé de singles rockabilly tels I Put a Spell on You ou Suzie Q (presque aucune chanson n’est signée du groupe).


Voila la magnifique face cachée de CCR !

Point culture : D’où vient le nom incroyablement pénible de Creedence Clearwater Revival ?

Creedence vient du prénom d’un ami de Tom Fogerty, Credence Newball, auquel un « e » a été ajouté pour évoquer « creed » qui signifie « crédo, principe » en anglais. Clearwater vient d’un slogan publicitaire de la marque de bière Olympia Beer, et Revival marque l’aspect « renaissance du groupe »…  Pourquoi faire simple et percutant finalement ? 







mardi 30 octobre 2012

Les épopées maritimes de Ween : The Mollusk



Au programme aujourd’hui : retour subjectif sur une démonstration de composition marrante, jolie et dépaysante qui date de 1997. Le prolifique et très inégal groupe Ween, projet foutraque des frères pennsylvaniens éponymes, publia une extraordinaire aventure maritime, l’histoire sibylline d’un type qui devient pirate par ennui. Sachez que les frérots Ween ont décidé de faire n’importe quoi, tout et son contraire, avec semble-t-il pour seule ligne directrice de ne jamais en avoir. S’ils ont publié des choses très mauvaises et d’autres sans grand intérêt, ils ont également eu des fulgurances de génie concentré pur jus.


Après la sortie de « 12 Golden Country Greats », qui comme son nom l’indique sert plus à faire croire à quelques républicains sudistes que tout n’est pas perdu pour restaurer l’Amérique de Grand-Papa qu’à vraiment proposer une œuvre musicale, nos joyeux drilles s’entichent d’un sujet dont la profondeur insondable nous fascinera toujours : la mer. Pour attirer le chaland, quoi de mieux qu’un titre un peu dégueu (The Mollusk) et qu’une pochette odieuse couleur vase qui arriverait à donner le mal de mer au Captain Iglo à jeun?


Mais « au fond », qu’est-ce que ça pourrait être ? La musique de la mer c’est quoi ? Des ballades irlandaises ? Des chants de marins ? De sirène ? De baleine ? La BO de Jack Sparrow ? Rien de tout ça. Si on peut effectivement retrouver la trace d’une chanson de marin – la sublime The Blarney Stone qui sent la Guinness et les embruns – les autres chapitres ne font souvent que reprendre la thématique maritime pour l’asservir à l’esprit Ween. A l’instar de leur chef d’œuvre de 1994, Chocolate and Cheese, rien ne ressemble à rien. Mais en se forçant un peu, en grattant légèrement la couche de sel, oui cela devient évident : tout respire l’iode, l’huile de foie de morue et le bonnet à Cousteau wesh.



Dans cette ode à l’eau salée, on trouve des chansons rapides et marrantes qui délasseront sans doute les néo mousses briquant le pont, comme I’ll Be Your Jonny on the Spot, la poétique Waving My Dick in the Wind, ou encore Ocean Man, qui sera reprise dans le générique de fin de Bob l’Eponge. Ca fleure bon la flibusterie, le branle-bas de combat et l’abordage sauvage sabre aux dents. Ecumer les sept mers rhum à la main et cheveux au vent c’est un truc de bonhomme.  Mais seul dans son hamac, le pirate assoiffé de richesses et soumis à la vacuité du désir spinozien découvre inévitablement la mélancolie d'un amour perdu.



Après avoir quitté sa patrie, qui se rappelle à lui à travers le doux ragtime british de I’m Dancing in the Show Tonight, (Ah, Ye Olde England !) la plongée a été rapide dans les tréfonds d’azur, dont les notes sirupeuses de flûte sur The Mollusk sont une belle allégorie. Mutilated Lips ferait quant à elle plutôt penser à un intermède brumeux sans vent, coincé au milieu de nulle part avec une carence en sel qui commence à donner le vertige et faire délirer. Il y a quoi tout au fond ? It’s gonne Be Alright, la quiétude ultime, où obscurité et limpidité s’associent sublimement. C’est le sommet – enfin l’abysse dans ce cas précis – du disque. Les percussions se propagent à travers les flots, scandant une mélodie impeccable accompagnée de coulées d'arpèges. La délicate Cold Blows the Wind tient également son rôle nostalgique : notre boucanier se demande s’il n’a pas rejeté un enfermement pour en accepter un autre, Dieu que ce navire est petit ! 




Il y a les îles certes. Des envies d’ailleurs grandiloquentes comme dans Buckingham Green, bel hymne pour une colonie hispanique ou un comptoir portugais où l’on hume les épices, se détend à l’ombre d’un palmier en ne songeant plus à rien. Les pirates ne sont-ils pas des proto-punks riches ?  L’oisiveté est nettement visible sur Pink Eye (On My Leg) où elle confine à la folie, si l’on en croit les aboiements de chien et les « vocalises » infâmes du chanteur. Le disque s’achève sur la David Bowiesque/Gilmouresque She Wanted to Leave, chanson grandiose qui laisse ouvert un vaste champ de possibilités devant soi, mais qui ne laisse cependant aucune place à l’éventualité d’un retour au bercail. Des bribes du ragtime des vertes terres natales résonnent encore dans la brise (2 :55), mais elles sont lointaines et terriblement déformées… C’était quoi déjà ?

Ecoute intégrale du disque : 





lundi 22 octobre 2012

The Dark Side of the Stars (IV) // BACKSTAGE INCRUSTE // De Ted Horowitz à Popa Chubby : en quête de blues…


Notre fan professionnelle à encore frappé un grand coup ! Après sa brève mais intense romance télépathique avec Jack White (le live report du concert du bonhomme de Nashville à Lyon le 4 septembre dernier c’est par là !), voila l’inépuisable Mlle P.M qui jette son dévolu sur plus de 100 kilos de mythe vivant en concert le 16/10 à Montpellier : le légendaire Popa Chubby, poids lourd tant au sens propre qu’au sens figuré, de la scène blues-rock New Yorkaise. Et pour tchatcher et se remémorer le bon vieux temps avec le beau gros bébé ca n’est pas bien compliqué… Il suffit d’un généreux verre de vin ! Récit de la rencontre en backstage avec citations, anecdotes et tofs de pola à l’appui !


Popa Chubby est un gros monsieur chauve, tatoué, transpirant, légèrement inquiétant, qui à la fin du concert donne ses médiators aux gamins qui sont venus le voir ; c’est un ex-punk roi de la rock’n roll attitude qui lance « Bisous !! Bisous !! Bisous !! » à son public ; C’est un dieu de la guitare avec qui on peut parler de tout et de rien (Popa Chubby : Comment tu fais, tu as vraiment une belle peau ! ») ……………….. . . .  .  .  .   .   .     .     .      .         .


Mardi soir, Popa était au Rockstore à Montpellier, pour offrir 3h de live phénoménal incluant son dernier album  Back to New York City.

Depuis quelques années, Popa Chubby est encensé – à juste titre – pour ses reprises de Purple Haze et Hey Joe. Rapidement classifié dans notre mémoire collective et sur YouTube comme LE bluesman quinquagénaire type. C’est le genre de ceux qui ont bien conscience que le blues est une musique historique chantée par les noirs dans les champs de coton et que ça, ça mérite le respect !








Popa Chubby : THAT’S BULLSHIT ! Le blues, c’est quand tout foire et que bien sûr t’es seul comme un con. Le blues, c’est chaque fois que tu te dis "LA, C’EST LA MEEERDE". 

« C’est la merde », Popa le dit souvent en français. Il connait bien la France et il fait partie de ces artistes prolifiques qui ont compris que le français aime le blues : un album et une tournée européenne par an, avec nombre de dates dans l’hexagone. Toujours dans de petites salles systématiquement pleines à craquer, deux heures de concert minimum avec bain de foule, signature d’autographes et photos à la fin (plus vin en backstage si affinités…).


DM : Mais après un concert comme ça, tu ne rêves pas de prendre une douche et d’aller dormir ?

Popa Chubby : Je ne peux pas dormir après les concerts, j’ai trop d’énergie, surtout avec un public comme ça. Regarde, je tremble encore ! 

Et si vous êtes de ceux qui vont en backstage, vous saurez que Popa Chubby n’est pas un simple mortel qui reprend du Jimi Hendrix, c’est un être élu qui flaire le blues dans toutes ses manifestations : dans le rock’n roll, le jazz, le métal et même la musique classique…


                          

Et vous saurez peut-être aussi qu’à l’époque où on l’appelait encore Ted Horowitz il a joué dans des groupes d’ horror rock, de punk, de new wave, et qu’il nous reste encore beaucoup de choses à découvrir de lui.

Popa Chubby : Tu sais, je suis connu pour faire ces reprises de chansons de Hendrix. Il y a des choses pires dans la vie ! »

Des choses pires…  Par exemple avoir 16 ans dans le Bronx à la fin des années 70, être héroïnomane et jouer dans le métro avec une guitare à 79$. Il a joué de tout, tout ce qu’il pouvait entendre à la radio : les Beatles, les Stones, Led Zep, Hendrix, Donovan, Elton John, tout ce que les gens avaient l’air d’aimer.
A tout juste 18 ans il répond tout naturellement à une petite annonce du journal local : le CBGB cherche un guitariste. Il y va en métro et rencontre Screaming Mad George un bassiste japonais spécialiste des effets spéciaux qui le prend dans son groupe de Horror Rock.



C’est la grande période du CBGBs ! Il se souvient même du premier show des Ramones, des Runaways, des Cramps, et il part en tournée avec les premiers punks New Yorkais : The Voidoids.
Quand le groupe se sépare, Ted se retrouve de nouveau à jouer dans la rue. Il fait la manche à Central Park quand il croise Pierce Turner avec qui il enregistre des ballades dont The Sky And The Ground   applaudi par le magazine Rolling Stones en 1989, et ils partent en tournée en première partie des Stranglers.




Popa Chubby : On était juste les mauvaises personnes pour ouvrir pour les Stranglers, Pierce faisait une musique sensible. Le public des Stranglers venait surtout pour voir le bassiste JJ Burnel, un français, veste en cuir, karatéka, qui balançait des coups de pieds et ce genre de trucs. Un soir des mecs du public m’ont traité de gros bâtard et je leur ai lancé un seau d’eau à la figure. Le lendemain ils m’attendaient en backstage pour me dire qu’ils m’adoraient et qu’on était amis pour la vie! C’est l’attitude rock’n roll, il ne faut pas rester spectateur. 

S’ensuit une période de petits boulots à repeindre des appartements le jour et jouer avec des groupes la nuit.
Popa Chubby : Je détestais ça ! Et en 1989, beaucoup de bars ont ouvert à New York. Je me débrouillais à la guitare et je savais un peu chanter alors j’ai commencé à jouer en solo, parce que comme ça je pouvais faire 3 concerts par nuit.»

C’est Bernie Worrell, le chanteur de Parliament Funkadelic, qui lui a donné le nom de scène ‘Popa Chubby’ pendant un jam en 1990.

S’ensuivent 25 albums, 2 dvds de masterclass, environ 200 shows par an (Popa Chubby : J’ai une maison à New York tu sais, sauf qu’en fait j’habite à l’hôtel ! » ) et toujours une ouverture d’esprit dans sa façon de voir la musique, dans son rapport avec le public, dans l’envie de se renouveler, d’avancer pour rester dans « ce qui est vrai ».

Popa Chubby est une expérience désorientante à vivre absolument.



« Mais tu sais, vous avez aussi des bons guitaristes en France. Encore un peu de vin? J’ai fait des trucs avec Luuuis Bertignac. Et il y a mon ami Paul Personne. Et Personne en français il parait que ça veut dire ‘Nobody’! Hahaha ! Tu devrais m’apprendre le français. Enfin, Paul en fait il est Belge. C’est comme votre chéri, Johnny Hallyday, je le connais un peu lui aussi. Ben il est pas français, il est Belge. Mais bon, ici vous dites tous que c’est Elvis alors… »





vendredi 19 octobre 2012

The Awesomest Songs of the Week : YoggyOne


Loin des soirées mousse, loin des champs’ et loin des dérives sociologiques stéréotypées, existe le Bisontin YoggyOne. C’est pas fait pour danser, c’est pas fait pour rigoler, c’est fait pour apprécier. 



Difficilement cernable, quoiqu’avec de légères parentés du côté de Mount Kimbie de James Blake ou de Nosaj Thing, le nouvel opus intitulé Canopée est un magnifique fatras d’investigations sonores, jonglant avec des rythmiques artisanalement sublimes (craquements d'allumettes ? papier froissé ? bouteilles vides entrechoquées ? marche dans la neige ?), des lignes de synthés ronronnantes délicieusement travaillées et des samples de voix vocoderisées. C’est du bel ouvrage, c’est esthétique, homogène et novateur. Fondant dextérité et inventivité, Canopée est à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre de YoggyOne à l’aune de son EP « Preparations », le bouillonnant substras échappé de son chaudron magique il y a trois ans. 





Déjà sévissait cette beauté glauque, chimère de chimiste a-académique, prolongement philosophique de l’enfant qui met le câble noir dans le trou rouge pour voir si tout va exploser. Le génie, c’est de ne pas éluder la mélodie par l’expérimentation : tout doit servir. Ni minimalisme, ni boucles, ni overdoses, tout dans sa musique fait sens par nuances, atteignant l’optimum par tâtonnements.




Chapeau bas au contre-courant, à la liberté de créer, au jet de galet sur la surface moribonde de la soupe française.


PLUS DE MUSIQUE PAR LA



mercredi 10 octobre 2012

Sarah W. Papsun : Première partie en or massif !



C’est bien connu, un train peut en cacher un autre… Et gare à l’imprudent un peu trop pressé !  Et bien le parallèle entre le monde ferroviaire et celui de la musique live est on ne peut plus pertinent,  quoi qu’il en paraisse à première vue.  Démonstration implacable et empirique en trois temps… (Ou, comment à tout moment une première partie inconnue portant le nom improbable d’une ancienne correspondante américaine peut débouler sans crier gare ! )

Situation initiale :

Jeudi 27 septembre 2012  tout hipster se respectant un tantinet se devait de faire acte de présence dans l’un de leur QG parisien, La Gaîté Lyrique. Le motif ? Le concert évènement de LA révélation hype 2012 : Breton.

 Dès la file d’attente voilà les plus beaux spécimens du cheptel qui patientent avec flegme en pavanant aimablement. Et à ce jeu, même les paons du parc de Bagatelle peuvent aller se remplumer direct, car ceux là sont imbattables pour faire la roue…  Tout le monde a sorti ses plus belles lunettes en plastique coloré, (dé)repassé son plus beau T-shirt déchiré/décalé, floqué d’une citation de Nietzche  en serbo-croate, rasé l’arrière de son crane et vérifié que la longueur de la mèche de devant leur obstruait bien toute visibilité à plus de 50 cm.  
Après  l’ascension du superbe escalier orange nous voilà directement au paradis : le foyer du vénérable Théâtre de La Gaîté, conservé par un furieux geste de postmodernité architecturale « dans son jus » au milieu d’un bâtiment tout de zinc et de plastique fluo tapissé. Et il faut bien avouer que le rinçage de gosier pré-concert prend ici une dimension toute aristocratique. C’est donc d’un pas nonchalant de circonstance que nous nous baladons maintenant dans la vaste pièce pour un fascinant safari socio-stylistique. Et quelle chance, les espèces les plus rares sont de sortie ! Nous croisons même au détour d’une superbe chemise à carreau le grand Günther Love, sa fière moustache et une partie de sa troupe de non-musiciens professionnels de choc (NDLR :les Airnadettes, 1ère comédie musicale de Air Guitar) ! Non, mais vraiment cet endroit est fascinant… Et ce qui devait arriver arriva ! Dans la béatitude extatique dans laquelle nous plongeaient cette gravure de mode vivante et les effets de la bière nous avions complètement loupé le début du show…La base de toute attitude branchée consistant à arriver en retard d’un air affable et détaché, nous ne pouvions pas nous calquer sur nos congénères de déambulation.

Panique à bord donc, et en moins de temps qu’il faut à notre pote Gunther pour accorder sa gratte imaginaire nous voilà dans le cube argenté, au cœur du saint des saints…

Elément perturbateur :

Stupeur et tremblement ! Un groupe est déjà sur scène en train de martyriser sans la moindre compassion ses instruments à grand coup de bras, doigts et pieds. Les sauvageons balancent, visiblement sans le moindre effort, une tempête sonore décoiffante. L’affolement est à son comble ! Serait ce déjà Breton qui serait en train de jouer des inédites dont nous avons bien loupé dix bonnes minutes ??? Et il faudra bien deux chansons pour se rendre à l’évidence : « Non… Impossible ! et puis d’ailleurs voilà une batterie floquée Breton qui se cache à l’arrière de la scène… ».

Mais la gifle auditive de cette mystérieuse première partie reste bien intrigante. Les sales gosses mancuniens seraient-ils venus dans leur valise avec des clones maléfiques confectionnés dans leur mystérieux Lab pour envahir le monde ? Est-ce l’expérience des scènes de Manchester  qui donne ainsi autant d’assurance et de précision à un groupe visiblement plus proche du bac à sable musical que du l’intronisation au Hall of Fame ?  Et durant la vingtaine de minutes que durera encore ce set cathartique, pas une seule fois le groupe ne rompra la transe électrique et martiale dans laquelle il semble vouloir maintenir les spectateurs prisonniers.


Dénouement :


Les lumières se rallument sur une salle qui semble légèrement hébétée, mais qui déjà attend avec fièvre les stars de la soirée…  Parfaitement rodé le show électro-pop-rock-hiphop-symphonique de Breton porté par les projections, les bons mots de Roman Rappak et la symbiose musicale de l’ensemble, est un succès absolu et mérité! ( Lien vers une chronique digne de ce nom du concert de Breton par ici !  ) . Mais revenons à nos moutons : l’attentat musical sans nom de la première partie… 



C’est en rentrant dans nos pénates que nous découvrirons son nom étrange : Sarah W. Papsun . Et pas sujets de sa majesté pour un sous les six garçons ne sont autres que des petits parigots (têtes de veaux) ! Et d’ailleurs avec un single intitulé Drugstore Montmartre comment cela aurait-il pu en être autrement ? Mais les types lorgnent clairement vers la Perfide Albion et c’est la découverte du math rock révolutionnaire des Foals a Oxford du temps où ces derniers s’appelaient encore The Edmund Fitzerald qui sera décisive. 
Quelques clips, EP’s et chansons éparses permettent de confirmer les impressions du live.

Les six membres du groupe nous  balancent bien leurs tripes à la figure sur chaque nouveau morceau ; et cette boucherie n’est pas pour déplaire à nos instincts les plus primaires de mélomaniaques compulsifs… Au gré d’un Drugstore Montmartre solaire, d’un Hey Hey lunaire et de clips malicieusement terre à terre, les quelques compos se déploient avec aisance et naturel. Un festivalier ayant trop traîné ses guêtres sur les champs boueux du cru 2012 des festivals hexagonaux de l’été ne pourra s’empêcher de noter la proximité entre le chant haut perché et la voix métallique de Mat Bad, diable à ressort de SkipThe Use. Notamment sur les sautillants Pay Try. Mais le résultat particulièrement fignolé se rapproche plutôt des pérégrinations mathématiques de Tall Ships, de Gallops ou des Battles. Et même quand, comme dans Kids of guerilla, il s'agit de ralentir intelligemment le rythme l'épreuve est validé haut la main...


Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! Après une rapide enquête sur le WorldWideWeb les infos affluent ! Loin d’être de jeunes lions boutonneux et sur-testostéronés prêt à en découdre avec la vie, nous voilà face à une bande de bons vieux potes trentenaires revenus à la musique sur le tard…  Entre le métro/boulot/dodo les voilà qui, en 2009, ont la génialissime idée d’épousseter leurs vieux instruments poussiéreux d’ado et de retenter d’en sortir quelques gémissements… Et le résultat va au delà de toutes espérances ! Pas mal de concerts, quelques enregistrements, plusieurs clips rigolos, puis des tremplins remportés…Et tout s’enchaîne avec pas mal de premières parties prestigieuses…  Acharnement, maturité, beaucoup d’humour et la machine contre toute attente semble plutôt bien lancée.

Et comme ils l’analysent si bien dans une Interview pour Le Transistor « Notre atout : la vieillesse ! On n’est pas matures, on est sur le déclin… y’en a un qui est chauve et deux qui sont impuissants ! »
Quoi de plus approprié que de conclure maintenant sur la morale d’une fameuse fable de La Fontaine ? « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. » qu’il disait…  Et visiblement Sarah W. Papsun, invité surprise de la course n’aurait eu aucun mal à coiffer au poteau lièvre et tortue en partant bien longtemps après les deux compères…




lundi 8 octobre 2012

On l'écoute et on assume : L'orgie païenne de 50 Hertz



Pour la célébration officielle de la naissance du divin enfant vous saurez sans aucun doute choisir la BO parfaite, à piocher entre chœurs traditionnels, mainstream cul-cul la praline ou revival « indépendant » comme l’ont déjà fait Bright Eyes ou Sufjan Stevens. Mais pour la fête ancestrale du solstice d’hiver qu’aurez-vous ? Ne vous inquiétez plus, nous avons déniché les mélopées qui siéront le mieux à cette orgie païenne de fin d’année, vous pourrez sereinement festoyer la renaissance du feu sacré avec le déchaînement créatif de 50 Hertz !


Quand les enfants s’endormiront paisiblement au délicat tintinnabulement de  Douce Nuit, sous le joug innocent de la passion consumériste la plus totale,  vous pourrez, dans un esprit hipster et complètement novateur bien entendu, savourer la version alternative du passage par le jour le plus court de l’année. Et quel que soit le péril, il faut l’affronter à bras-le-corps pour  le surpasser, en ceci 50 Hertz constituera vos parfaites braises symboliques. Un idoine rituel de passage, mélange de folie, de décadence mais toujours empreint de l’esprit de Noël. 






Difficile d’établir une grille de lecture tant leur musique est bordélique. Leur discographie est dure à établir, que croyiez-vous, ces choses-là ne tombent pas au creux de la main, c’est de l’archéologie musicale : on fouille, on est déçu, on refouille, on trouve des choses, on essaye d’établir leur date, leur authenticité, puis de former des relations entre elles. C’est sûr que c’est plus facile avec les gentils chrétiens qui consignent tout qu’avec les sauvages arboricoles qui ne connaissent pas l’écriture. Nous ne savons donc que peu de choses : ils viennent du sud de la Suède, leur apogée se situait au début du XXIème siècle et ils ont vécu très en marge des autres civilisations, probablement dans une situation de quasi-ermitage. Cette isolation presque totale a mené à leur perte, pour raison de consanguinité et de crises de folie aiguës, mais elle a néanmoins permis une très grande originalité, en les affranchissant de toutes les conventions alors en vigueur.


Den dimhöljda dvärgens brillor by 50hertz on Grooveshark

Vill du gifta dig med mig (och min bror)? by 50hertz on Grooveshark


Quand la plupart cherchent à rationaliser leurs idées, les assembler de manière cohérente pour proposer ce qu’on a appelé plus tard des morceaux de musique, 50 Hertz ne s’est jamais préoccupé d’un quelconque peaufinage. Ils étaient de grands impulsifs, à la limite de la psychopathie, et enregistraient leurs idées sans jamais les retravailler. N’ayant pas de desseins commerciaux, ignorant les concepts de richesse, de profit et d’accumulation, ils n’ont donc jamais mélangé musique et séduction. D’où la difficulté à comprendre l’œuvre. Il faut abandonner un certain nombre d’automatismes et de concepts modernes pour prétendre saisir cette musique et ne pas faire d’anachronismes psychologiques. 


När Jag Säger Kör, Kör Vi by 50hertz on Grooveshark


Nous ne savons que peu de choses avec certitude : 50 Hertz a longtemps été proche d’autres groupes suédois comme Slagsmalsklubben ou Stay Ali, puis un événement les en a fait s’éloigner pour une raison inconnue. Quand les deux autres ont réussi sans trop de mal à s’adapter aux révolutions en cours à l’époque, lissant peu à peu leur musique pour la rendre propre à l’emploi par les populations méridionales, les membres de 50 Hertz ont brusquement disparu de la circulation. Contradictions internes, désaccords trop profonds ou incapacité à évoluer, nul ne sait. Leur absence d’évolution, ou refus d’acculturation, les rend particulièrement intéressants d’un point de vue ethnologique, à l’instar des enfants sauvages et des chèvres à trois cornes, car elle renseigne sur les changements qu’apportent l’obstination et l’autarcie.




Warsawa by 50hertz on Grooveshark


Le résultat peut choquer. Disons-le tout net, il y a des choses bonnes, d’autres mauvaises, de belles mélodies et du bruit infâme, des singles potentiels et des mauvaises blagues. Tout est brut, souvent décousu, brouillon et approximatif. Mais les idées fusent sans cesse, et le style nordique païen est reconnaissable à chaque instant. Cette espèce de galimatias électronique mi festif mi traditionnel, parfois guilleret parfois clairement flippant. Des gémissements, des boîtes à musique et des monologues en suédois font irruption de temps en temps, mais le sens demeure énigmatique. Rites sacrificiels ? Prosternation collective ? Bûchers ? Mystère et boule de neige !


Nigga Please by 50hertz on Grooveshark




Une seule autre certitude, le solstice d’hiver était le moment le plus important de l’année, il n’y a qu’à voir le nombre d’emprunts que le christianisme leur a faits, mettant de l’ordre dans tout ce charabia de paganisme afin de s’en servir pour leur propre fête, décalée de quatre jours. Ce qui rend 50 Hertz passionnant, c’est de savoir que nous ne les comprendrons jamais vraiment, que la grande majorité de leurs codes resteront inexpliqués à jamais et qu’ils sont un exemple presque unique d’insularité musicale.

Med en sol by 50hertz on Grooveshark


mercredi 26 septembre 2012

Il n’y a de divin que le jazz et Avishai (Cohen) est son prophète !


Mais qui est donc Avishai Cohen ? Selon la bio officielle, trouvée en trois clics sur Wikipedia & Cie, ce jeune prodige de la « cinq cordes » qui affole les journalistes musicaux spécialistes es jazz, est né il y a quelques 42 printemps dans un kibboutz du nord d’Israël. Mais on ne nous la fait pas à nous celle-là ! Comment l’être à l’origine du si parfait et intimidant météore musical Continuo, directement tombé des étoiles le 23 mai 2006, pourrait-il avoir à peine moins d’un demi siècle ??? Bon ok, un certain barbu de Nazareth avait 33 ans le jour où il s’est amusé à faire de l’équilibrisme sur deux bouts de bois et qu’il en est entré dans l’histoire. Mais à l’époque  ce garçon là était over-pistonné ! Avec sa filiation vous me direz… Alors que du côté d’Avishai, mis à part quelques vagues zicos pas grand-chose à retenir de l’arbre généalogique à moitié déraciné du bonhomme. Pas même un petit prix Nobel de littérature, ni même un prophète de 3ème division…  C’est un coup à se convertir à l’hindouisme dare-dare. Parce qu’avec le concept de réincarnation on pourrait trouver pas mal de réponses au mystère de cet OVNI musical millénaire. 

Entre jazz, pop, sonorités classiques, musique orientalisante et même rock, le disque semble faire un impossible grand écart à travers les continents, les époques et les genres… Et tout cela sans risquer la moindre luxation musculaire ! Le chaînon manquant musical qui permettrait à tous de se tenir par la main en dansant et en riant ? Who knows… 




Quoi qu’il en soit au moment de la parution de ce petit bijou sonore (2006)  Avishai Cohen n’en est pas à son premier miracle. Le musicien prodigue a déjà publié six albums plus qu’honnêtes sous son nom et a participé à de nombreux enregistrements live et studios pour des musiciens jazz de renom, dont Chick Corea, son mentor. 

Mais avec Continuo, disque exclusivement instrumental,  les mélodies et les rythmes du trio s’imbriquent à la perfection les uns dans les autres ; une sainte trinité sacré : Au nom de la basse, du piano et de la batterie, Amen… Ainsi, c’est comme si la chaude contrebasse d’Avishai,   le clavier sautillant de Sam Barsh, et les parties de percussion élastiques de Mark Guiliana constituaient les différents encéphales d’un unique et même cerveau. Chacun va remplir un rôle bien précis, mais tous seront parfaitement coordonnés au service d’un chef d’œuvre de mécanique cérébrale à l’origine de l’étincelle de la vie. Et plus que de la vie c’est de mélodie et de groove dont il est question ici ! Sur un titre comme Smash on se demande vraiment si Flea le bassiste des Red Hot Chili Peppers ne se serait pas tapé l’incruste dans le studio d’enregistrement, tant les plans développés lorgnent vers des trames outrancièrement funky !

Mais le talent de compositeur et d’arrangeur du leader, la parfaite exécution des deux autres musiciens et leur aptitude  à coordonner l’ensemble, ne suffiraient pas à expliquer la singularité de Continuo dans la foisonnante discographie d’Avishai. L’histoire musicale est truffée de compositeurs n’hésitant pas à stimuler leur encéphale à grandes bouffées d’opiums, alcool,  LSD, marijuana, ecsta et autres substances pas vraiment recommandables. Et bien ici le bouillonnant cerveau va aussi avoir recourt à un puissant stimulant qui, tout au long du disque  soulève des nuages étouffants de sable brûlant et imprègne ses moindres recoins d’une inimitable odeur de Méditerranée et d’Orient : le joueur d'oud Amos Hoffman, également israélien. Dès l’ouverture de Nu Nu son jeu évanescent marque l’opus de ses sonorités millénaires.




Nu Nu opère une parfaite synthèse de l’ensemble. Changements de rythmes incessants, successions de phrasés musicaux beaucoup plus complexes qu’ils n'en ont l’air à première vue et inextricables enchevêtrements d’instruments. La contrebasse claque, grince et ronfle avec la brutalité et l’intransigeance de celui qui sait que les autres savent qu’il est LE boss. Mais ce n’est pas cela qui va empêcher les nombreuses réactions d’orgueil qui truffent les parties des deux fortes têtes au service du maestro. Alors que le piano tente de prendre le contrôle de pas mal de morceaux (Samuel, Elli, Calm, Arava),  la batterie quant à elle part régulièrement dans de frénétiques et bruitistes démonstrations de force bien trop impertinentes pour un album estampillé de la sérieuse labellisation « Jazz music ». Mention spécial du jury au solo de batterie d’Emotional Storm dont on se demande très sérieusement si Mark n’aurait pas discrètement refilé ses baguettes à Shiva (dieu hindou pouvant avoir jusqu’à dix bras) pour l’occasion !
  



Parfaite BO d’un film qui n’a jamais vu le jour, les pistes ne demandent qu’à habiller de grands moments du 7ème art. La scène d’introspection d’un vieillard qui pose sur sa vie un regard lucide, nostalgique et sans concession au crépuscule de sa longue existence magnifiée pour le nostalgique thème de piano d’Elli ? Et si One For Mark servait à renforcer la détermination d’un jeune premier enfin prêt à retourner des montagnes pour la belle à laquelle il est sur le point de déclarer sa flamme ? Et quoi d’autre qu’une bonne vieille baston pour l’explosive intro de Smash ? A moins qu’une chevauchée solitaire vers l’infini ne convienne mieux au thème inlassablement répété ? …

Elli by Avishai Cohen on Grooveshark
One for Mark by Avisahi Cohen on Grooveshark

Pour le reste, de Ani Maamin à Continuo en passant par Samuel ou Emotional storm l’économie de mots serait plutôt de rigueur. Musique inqualifiable et introspective, elle saura se frayer sans mal un chemin dans les synapses de chacun et y trouver un petit coin où s’y lover délicatement … et pour longtemps. Et là ou l’âme est en pleine conversation avec émotions et sensations, pas besoin de maîtriser la marche dans les terrains glissants du solfège et de la musicologie pour apprécier les joyaux qui composent le disque (Ce qui n’empêchera pas bien sûr une deuxième lecture plus cérébrale et technique pour les érudits de la Blue Note).


Flash Spécial live: Et pour les petits curieux hexagonaux, Avishai Cohen sera en pleine opération messianique de conversion et de séduction du public  parisien le 20 octobre prochain, pour un concert exclusif  au Café de la Danse ! Il s’agira à cette occasion de défendre son tout nouvel album Duende, de facture beaucoup plus classique que Continuo, mais tout de même de très bonne tenue.